dimanche 30 janvier 2011


Partie intégrante de l’Afrique romaine[modifier]

Pour consulter un article plus général, voir : Afrique romaine.

Continuité de la civilisation punique ou rupture ?[modifier]

Théâtre de Dougga dominant une riche plaine céréalière en contrebas
À l’issue de la Troisième Guerre punique, Rome écrase définitivement Carthage et s’installe sur les décombres de la ville en 146 av. J.-C.35. La fin des guerres puniques marque l’établissement de la province romaine d’Afrique dont Utique devient la première capitale, même si le site de Carthage s’impose à nouveau par ses avantages et redevient capitale en 1435,41. Une première tentative de colonisation par les Gracquesavec la constitution d’une Colonia Junonia Carthago avorte en 122 av. J.-C.42, et provoque la chute et le décès de son promoteur, Caius Sempronius Gracchus. En 44 av. J.-C.Jules César décide d’y fonder une colonie romaine, la Colonia Julia Carthago42, mais il faudra attendre quelques décennies pour qu’Auguste lance les travaux de la cité43, qui sera plus tard la capitale de la province. La parure monumentale de la ville jouera un rôle majeur dans la romanisation de la région44, cette « Rome africaine » se diffusant elle-même dans le riche tissu urbain du territoire de l’actuelle Tunisie.
La région connaît alors une période de prospérité où l’Afrique devient pour Rome un fournisseur essentiel de productions agricoles25, comme leblé et l’huile d'olive43, grâce aux plantations d’oliviers chères aux Carthaginois35. Le fameux port de Carthage se mue en port d’attache monumental d’une flotte céréalière dont l’arrivée est chaque année impatiemment attendue à Rome43, avec l’annone, l’institution de la distribution de blé à la plèbe45. À Chemtou, on exploite un marbre aux veines jaunes et roses que l’on exporte à travers l’empire, alors qu’à El Haouaria le grès est extrait pour bâtir Carthage43. Parmi les autres productions figurent les céramiques et les produits dérivés du poisson.
Partie restaurée de l’aqueduc de Zaghouan
La province se couvre d’un dense réseau de cités romanisées dont les vestiges encore visibles à l’heure actuelle demeurent impressionnants : il suffit de mentionner les sites de Dougga (antique Thugga), Sbeïtla (Sufetula), Bulla RegiaEl Jem (Thysdrus) ouThuburbo Majus. Parmi les symboles de la richesse provinciale se trouvent l’amphithéâtre de Thysdrus, l’un des plus grands du monde romain, et le théâtre de Dougga. À côté des vestiges des bâtiments publics resurgissent aujourd’hui de riches habitations privées, villas au sol couvert de mosaïques que la terre du pays ne cesse de restituer aux archéologues.
Mosaïque d’Africa et les Saisons à El Jem
Partie intégrante de la République puis de l’empire avec la Numidie35, la Tunisie devient pendant six siècles le siège d’une civilisation romano-africaine d’une exceptionnelle richesse, fidèle à sa vocation de « carrefour du monde antique ». La Tunisie est alors le creuset de l’art de la mosaïque, qui s’y distingue par son originalité et ses innovations43. Sur les stèles à caractère religieux on distingue d’anciens symboles tels le croissant lunaire ou le signe de Tanit. Concurrents des dieux romains, des dieux indigènes apparaissent sur des frises d’époque impériale, et le culte de certaines divinités, Saturne et Caelestis, s’inscrit dans la continuité du culte voué par les Puniques à Ba'al Hammon et à sa parèdre Tanit46. Le « carrefour du monde antique » voit aussi l’installation précoce de communautés juives42 et, dans le sillage de celles-ci, des premières communautés chrétiennes. La langue punique elle-même restera longtemps en usage, fortement jusqu’auier siècle, et elle est attestée dans une moindre mesure jusqu’à l’époque de saint Augustin47.
L’apogée du iie et du début du iiie siècles ne va toutefois pas sans heurts35, la province connaissant quelques crises au iiie siècle av. J.-C. : la répression de la révolte de Gordien en 238la frappe ; elle subie de même les affrontements entre usurpateurs au début du ive siècle. La province est l’une des moins touchées par les difficultés que connaît l’Empire romain entre 235 et le début du ive siècle. Avec la Tétrarchie, la province recouvre une prospérité que révèlent les vestiges archéologiques, provenant tant de constructions publiques que d’habitations privées. Cette époque est aussi le premier siècle du christianisme officiel, devenu religion licite en 313 et religion personnelle de l’empereur Constantin35.
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Centre d’expansion du christianisme[modifier]

Dans un espace ouvert sur l’extérieur comme l’est alors la province d’Afrique — Carthage est notamment reliée aux grandes cités d’Alexandrie et d’Antioche, qui constituent deux grands centres d’évangélisation48 —, le christianisme se développe de façon précoce49 grâce aux colons, commerçants et soldats48, et la région devient l’un des foyers essentiels de la diffusion de la nouvelle foi, même si les affrontements religieux y sont violents avec les païens. Ainsi, la nouvelle religion se heurte d’abord à l’opposition populaire car le christianisme déchire un tissu social très serré, le paganisme imprégnant toute la vie quotidienne, et ses adeptes sont contraints de vivre à l’écart de la vie domestique et de la vie publique. La cohésion sociale paraît alors menacée, ce qui entraîne des ripostes comme le saccage de tombes chrétiennes. Dès le iie siècle, la province applique aussi les sanctions impériales, les premiers martyrs étant attestés dès le 17 juillet 18048 : ceux qui refusent de se rallier au culte officiel peuvent être torturés, relégués sur des îles, décapités, livrés aux bêtes féroces, brûlés voire crucifiés.
Saint Augustin, figure du christianisme d’Afrique
À la fin du iie siècle, la nouvelle religion progresse dans la province car, malgré une situation difficile, la nouvelle foi s’implante plus vite qu’en Europe, notamment en raison du rôle social joué par l’Église d’Afrique, qui apparaît dans la seconde moitié du iiie siècle, et du fait de la très forte densité urbaine. C’est à partir d’environ 400 que, sous l’action dynamique d’Augustin d'Hippone et l’impulsion de quelques évêques, les grands propriétaires terriens et l’aristocratie citadine se rallient au christianisme, où ils voient leur intérêt, l’Église intégrant alors les diverses couches sociales. Rapidement, la province d’Afrique est considérée comme un phare du christianisme latin occidental48 ; Tertullien est l’un des premiers auteurs chrétiens de langue latine et Saint Cyprien, premier évêque de Carthage, est martyrisé le 14 septembre 25848, à une époque où la nouvelle religion est déjà largement répandue dans la société. Cette expansion rencontre toutefois des obstacles, en particulier lors du schisme donatiste35 — conséquence des rivalités de prélats avides d’occuper le siège du primat d’Afrique — qui est condamné de façon définitive au concile de Carthage, ouvert le 1er juin 41148 et organisé par son plus ardent contradicteur en la personne de l’évêque Augustin d’Hippone. Ce dernier accuse les schismatiques d’avoir coupé les liens entre l’Église catholique africaine et les Églises orientales originelles48.
En dépit de cette lutte religieuse, la conjoncture économique, sociale et culturelle est relativement favorable au moment du triomphe du christianisme50, comme en témoignent les nombreux vestiges, notamment de basiliques à Carthage — en particulier celle de Damous El Karita — et de nombreuses églises aménagées dans d’anciens temples païens (comme à Sbeïtla) ou même certaines églises rurales découvertes récemment. Ce dynamisme perdurera longtemps, y compris pendant la période vandale.
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Antiquité tardive[modifier]

Domination vandale[modifier]

Article détaillé : Royaume vandale.
Inscription de la Tunisie dans les grandes invasions
En 42951, menés par leur chef Genséric, les Vandales et les Alains franchissent le détroit de Gibraltar52. Le 19 octobre 439, après s’être rendus maîtres d’Hippone53, ils entrent dans Carthage, où ils installent leur royaume pour près d’un siècle52. Les Vandales sont adeptes de l’arianisme54, déclarée hérésie chrétienne au concile de Nicée, ce qui ne facilite pas les relations entre eux et les notables locaux majoritairement catholiques. Le clergé africain s’oppose en effet à ce qui représente à ses yeux un double préjudice : la domination desbarbares et celle des hérétiques55. Or les Vandales exigent de la population une totale allégeance à leur pouvoir et à leur foi55. En conséquence, dès lors qu’ils tentent de s’opposer aux Vandales, les chrétiens sont persécutés : des hommes d’Église sont martyrisés, emprisonnés ou exilés56 dans des camps au sud de Gafsa. Dans le domaine économique, les Vandales appliquent à l’Église la politique de confiscation dont doivent pâtir les grands propriétaires55. Les domaines et leurs esclaves sont transférés au clergé arien55. Cette politique se durcit lorsque Hunéric succède à son père55. Il entame d’abord une sanglante persécution contre les manichéens puis fait interdire à tous ceux qui n’adhèrent pas à l’Église officielle d’occuper une fonction dans les administrations publiques55. À la mort d’Hunéric, ses neveuxGunthamund puis Thrasamund lui succèdent et poursuivent la politique d’« arianisation »55. Le clergé catholique est surchargé de taxes et d’amendes, et Thrasamund condamne 120 évêques à l’exil55.
Étendue approximative du royaume vandale vers 455
Les témoignages littéraires sur la période vandale, en particulier de Victor de Vita, sont très sévères sur ce mode de gouvernance57. L’archéologie rend compte également de destructions importantes à l’époque du royaume vandale57, comme le montrent le théâtre et l’odéon de Carthage. Néanmoins, « la plupart des historiens modernes [considèrent cette période] comme un court passage, un événement de courte durée »58 ou « un épisode »59.
Cependant, la culture latine reste largement préservée60 et le christianisme prospère tant qu’il ne s’oppose pas au souverain en place. Les Vandales eux-mêmes, devenus les maîtres de l’ancienne province romaine la plus riche de l’Empire, se laissent aller à la douceur de vivre de la Tunisie. Le recrutement de leur armée en souffre à tel point qu’ils préfèrent enrôler des autochtones berbères, romanisés pour la plupart61. Leur territoire, enserré par des principautés berbères, est attaqué par les tribus de nomades chameliers : leur défaite, en décembre 533 à la bataille de Tricaméron57, confirme l’anéantissement de la puissance militaire vandale.

Période byzantine[modifier]

Article détaillé : Exarchat de Carthage.
Carthage est prise facilement par les Byzantins dirigés par le général Bélisaire25, envoyé par Justinien62. Le premier objectif de l’empereur est de contrôler la Méditerranée occidentale en vue de reconstituer l’Empire romain62. L’armée byzantine, composée en fait de mercenaires hérules et huns63, enfonce la cavalerie vandale autrefois tant redoutée, et le dernier roi,Gélimer, se rend en 53462. Malgré la résistance des Berbères, les Byzantins rétablissent l’esclavage et instituent de lourds impôts64. La plupart des Vandales sont déportés vers l’Orient en tant qu’esclaves, tandis que d’autres sont enrôlés de gré ou de force dans l’armée byzantine comme soldats auxiliaires. Par ailleurs, l’administration romaine est restaurée.
Extension de l’Empire byzantin sous le règne de l’empereur Justinien
À l’occasion du concile de 534, l’évêque de Carthage réunit 220 évêques afin d’examiner le problème que pose la volonté des Byzantins de transformer les évêques en simples exécutants55. Le concile affirme alors que, même si l’empereur doit faire appliquer les directives ecclésiastiques, il n’a pas à les déterminer55. Justinien réagit vivement : les réfractaires sont passibles de châtiments corporels et d’exil, pendant que les plus résistants sont remplacés par des hommes au service du prince55. L’Église d’Afrique est donc mise au pas55. Justinien fait alors de Carthage le siège de son diocèse d’Afrique. À la fin du vie siècle, la région est placée sous l’autorité d’un exarque cumulant les pouvoirs civil et militaire, et disposant d’une large autonomie vis-à-vis de l’empereur. Prétendant imposer le christianisme d’État, les Byzantins pourchassent le paganisme, le judaïsme et les hérésies chrétiennes64. Pourtant, à la suite de la crise monothéliste, les empereurs byzantins, opposés à l’Église locale, se détournent de la cité. Or, avec une Afrique byzantine entraînée dans le marasme, un état d’esprit insurrectionnel secoue des confédérations de tribus sédentarisées et constituées en principautés55.
Ces tribus berbères sont d’autant plus hostiles à l’Empire byzantin qu’elles ont conscience de leur propre force55. Quant au peuple, subordonné à l’administration, pressuré par le fisc et exposé aux exactions des gouverneurs, il en vient à regretter le temps des Vandales55. Avant même sa prise en 69861, la capitale et dans une certaine mesure — moins aisée à appréhender — la province d’Afrique se sont vidées de leurs habitants byzantins. La décadence est nette après la reconquête par Justinien, Abdelmajid Ennabli évoquant à propos de Carthage une cité « délaissée par le pouvoir central préoccupé de sa propre survie »65. Dès le début du viie siècle, l’archéologie témoigne en effet d’un repli66.

Moyen Âge arabo-musulman[modifier]

Article détaillé : Tunisie à l'époque médiévale.
Cette ère est marquée par le développement urbanistique du pays et par l’apparition de grands penseurs tels que Ibn Khaldoun, historien et père de la sociologie moderne.

Islamisation et arabisation du territoire[modifier]

Pour consulter un article plus général, voir : Conquête musulmane du Maghreb.
Trois expéditions sont nécessaires pour que les Arabes réussissent à conquérir la Tunisie. Dans ce contexte, la conversion des tribus ne se déroule pas uniformément et connaît des résistances, des apostasies ponctuelles ou l’adoption de syncrétismes. L’arabisation se fera de manière plus lente encore.
Minaret de la Grande Mosquée de Kairouan fondée en 670 par Oqba Ibn Nafi Al Fihri
La première expédition est lancée en 64761. L’exarque Grégoire est battu à Sbeïtla67, ce qui illustre l’existence de points faibles chez les Byzantins. En 661, une deuxième offensive se termine par la prise de Bizerte. La troisième, menée en 670 par Oqba Ibn Nafi Al Fihri, est décisive : ce dernier fonde la ville de Kairouan ainsi que sa Grande Mosquée68 au cours de la même année64 et cette ville devient la base des expéditions contre le nord et l’ouest du Maghreb25. L’invasion complète manque d’échouer avec la mort d’Ibn Nafi en 68367. Un chef maure,Koceila, reprend alors Kairouan67. Envoyé en 693 avec une puissante armée arabe, le général ghassanide Hassan Ibn Numan réussit à vaincre l’exarque et à prendre Carthage69 en 695. Seuls résistent certains Berbères dirigés par la Kahena69. Les Byzantins, profitant de leur supériorité navale, débarquent une armée qui s’empare de Carthage en 696 pendant que la Kahena remporte une bataille contre les Arabes en69769. Ces derniers, au prix d’un nouvel effort, finissent cependant par reprendre définitivement Carthage en 698 et par vaincre et tuer la Kahena67. Carthage est progressivement abandonnée au profit d’un nouveau port tout proche, Tunis, et les musulmans, fort actifs en Méditerranée occidentale, commencent à razzier la Sicile et les côtes italiennes.
Contrairement aux précédents envahisseurs, les Arabes ne se contentent pas d’occuper la côte et entreprennent de conquérir l’intérieur du pays. Après avoir résisté, les Berbères se convertissent à la religion de leurs vainqueurs67, principalement à travers leur recrutement dans les rangs de l’armée victorieuse. Des centres de formation religieuse s’organisent alors, comme à Kairouan, au sein des nouveaux ribats. De plus, la mosquée Zitouna est édifiée à Tunis par les Omeyyades vers 73270. On ne saurait toutefois estimer l’ampleur de ce mouvement d’adhésion à l’islam. D’ailleurs, refusant l’assimilation, nombreux sont ceux qui rejettent la religion dominante et adhèrent au kharidjisme, hérésie née en Orient et proclamant l’égalité de tous les musulmans sans distinction de race ni de classe71. En 745, les kharidjites berbères s’emparent de Kairouan sous le commandement d’Abou Qurra, de la tribu des Banou Ifren. La région reste une province omeyyade jusqu’en 750, quand la lutte entre Omeyyades et Abbassides voit ces derniers l’emporter71. De 767 à 776, les kharidjites berbères sous le commandement d’Abou Qurra s’emparent de tout le territoire, mais ils se retirent finalement dans leur royaume de Tlemcen, après avoir tué Omar ibn Hafs, surnommé Hezarmerd, dirigeant de la Tunisie à cette époque72.

Aghlabides[modifier]

Pour consulter un article plus général, voir : Aghlabides.
En 800, le calife abbasside Haroun ar-Rachid délègue son pouvoir en Ifriqiya à l’émir Ibrahim ibn Al-Aghlab73 et lui donne le droit de transmettre ses fonctions par voie héréditaire74. Al-Aghlab établit la dynastie des Aghlabides, qui règne durant un siècle sur le Maghreb central et oriental. Le territoire bénéficie d’une indépendance formelle tout en reconnaissant la souveraineté abbasside74. Par la suite, les émirs aghlabides continuent de prêter allégeance au calife abbasside25, si bien que, sous le règne d’Al-Mamun (813-833), les Aghlabides versent annuellement des redevances de 120 tapis75.
Extension maximale des Aghlabides
La Tunisie devient un foyer culturel important avec le rayonnement de Kairouan, dotée d’une maison de la sagesse ouverte aux savants, et de sa Grande Mosquée, un centre intellectuel de haute renommée76. La mosquée Zitouna de Tunis, deuxième plus vaste mosquée de Tunisie après celle de Kairouan, est reconstruite en totalité74. Kairouan, décrite par Oqba Ibn Nafi Al Fihri comme un « rempart de l’islam jusqu’à la fin des temps »77, est choisie comme capitale avant d’être remplacée par Raqqada et El Abbasiyya, considérées comme ses « satellites »75.
L’essor économique de l’Ifriqiya est le plus significatif du Maghreb grâce aux importations d’or de Nigritie78. Une bonne politique de l’eau est menée, entraînant le développement de l’agriculture79 : de nombreux ouvrages hydrauliques romains sont rénovés — notamment la citerne de la Sufra de Sousse80 — et un bon nombre sont construits, dont les bassins de Kairouan74. D’un point de vue militaire, les Aghlabides érigent des fortifications, en particulier les murailles de Sfax, et les ribats de Sousse et de Monastir74.
Ils se dotent d’une puissante flotte de combat pour écarter le danger chiite qui vient de la mer, tout en entretenant de bonnes relations avec l’Égypte et le royaume de Tahert74. Cette flotte et ces protections leur permettent en outre de prendre Malte81 mais surtout d’attaquer la Sicile en 827, sous le règne de Ziadet Allah Ier (817-838), avant de s’en emparer en 902 sous Ibrahim II (875-902)74. À la fin du règne de ce dernier, Tunis devient la capitale de l’émirat jusqu’en 90982.

Fatimides et Zirides[modifier]

Pour consulter des articles plus généraux, voir : Fatimides et Zirides.
Abu Abd Allah ach-Chi'i, qui déclare descendre de Fatima Zahra — fille de Mahomet et femme d’Ali ibn Abi Talib, vénéré chez les chiites78 —, aidé par les Berbères qui refusent la domination des Aghlabides, s’attaque à leur royaume. Appuyée par les tribus Kutama qui forment une armée fanatisée, l’action du prosélyte ismaélien entraîne la disparition de l’émirat en une quinzaine d’années (893-909)83.
Grande Mosquée de Mahdia construite par les Fatimides chiites
En décembre 909, Ubayd Allah al-Mahdi se proclame calife et fonde la dynastie des Fatimides, qui déclare usurpateurs les califes omeyyades etabbassides ralliés au sunnisme. Veillant à une politique fiscale rigoureuse et déterminé à imposer le chiisme, il se heurte à une forte opposition illustrée par un complot déjoué dès 91183. Malgré cela, l’État fatimide s’impose progressivement sur toute l’Afrique du Nord en contrôlant les routes caravanières et le commerce avec l’Afrique subsaharienne. En 921, la ville de Mahdia, première capitale établie par les Arabes sur un littoral83, est fondée et proclamée capitale du califat78.
En 945Abu Yazid, de la grande tribu des Banou Ifren, organise sans succès une grande révolte berbère pour chasser les Fatimides. Le troisième calife, Ismâ`îl al-Mansûr, transfère alors la capitale à Kairouan et s’empare de la Sicile61 en 948. Lorsque la dynastie fatimide déplace sa base vers l’est en 972, trois ans après la conquête finale de la région, et sans abandonner pour autant sa suzeraineté sur l’Ifriqiya, le calife Al-Muizz li-Dîn Allah confie à Bologhine ibn Ziri — fondateur de la dynastie des Zirides — le soin de gouverner la province en son nom. Parallèlement, il lance une expédition vers l’Orient, où il fonde Le Caire en 973. Les Zirides prennent peu à peu leur indépendance vis-à-vis du calife fatimide61, ce qui culmine avec la rupture, vers le milieu du XIe siècle, avec ce suzerain devenu lointain84.
En conséquence, Al-Muizz ben Badis est adoubé par le calife abbasside de Bagdad et inaugure l’ère de l’émancipation berbère83. L’envoi depuis l’Égypte de tribus arabes nomades sur l’Ifriqiya marque la réplique des Fatimides à cette trahison83. L’arrivée de ces tribus, qui remonterait à 1048, pourrait toutefois être plus ancienne selon certaines sources83. Les Hilalienssuivis des Banu Sulaym — dont le nombre total est estimé à 50 000 guerriers et 200 000 bédouins83 — se mettent en route après que de véritables titres de propriété leur ont été distribués au nom du calife fatimide. Al-Muizz ben Badis subit un premier désastre près de Gabès alors que Kairouan résiste pendant cinq ans avant d’être occupée et pillée. Le souverain se réfugie alors à Mahdia en 1057 tandis que les nomades continuent de se répandre en direction de l’Algérie, la vallée de la Medjerda restant la seule route fréquentée par les marchands83. En 1087, sous le règne de Tamim (1062-1108), fils d’Al-Muizz ben Badis, les Pisans et les Génois, encouragés par le pape Victor III, entrent brièvement dans la ville et la mettent à sac83. Ayant échoué dans sa tentative pour s’établir dans la Sicile reprise par les Normands, la dynastie ziride s’efforce sans succès pendant 90 ans de récupérer une partie de son territoire pour organiser des expéditions de piraterie et s’enrichir grâce au commerce maritime. Les Normands prennent Mahdia en 1148 et s’y maintiennent durant une douzaine d’années. L’Ifriqiya est alors partagée entre les Hammadides à Tunis, les derniers Zirides, les Normands de Sicile et les princes hilaliens qui s’imposent à leur tour.
Feuillet d’un Coran kairouanais
Au plan économique, les Hilaliens dévastent les cultures et pillent les villages, contraignant la population rurale à se réfugier dans les villes83. De vastes domaines agricoles, qui vivaient en symbiose avec les agglomérations, retournent à la steppe, ce qui entraîne un marasme général. Toutefois, les troupeaux des Hilaliens, constitués de chèvres, de moutons et d’ânes, sont mieux adaptés à la végétation, et la multiplication des dromadaires permet aux pasteurs de migrer plus vers le sud83. Au plan politique, la chute de Kairouan signe l’effondrement du pouvoir central ziride et l’instauration de fiefs dont les chefs payent des tributs aux chefs hilaliens qui contrôlent leurs zones83. La ville de Tunis fait même appel auxHammadides, qui installent le gouverneur Abd al-Haq ibn Khourassan. Ainsi se crée une principauté indépendante sous le règne de la dynastie des Khourassanides ; ces derniers, qui font de Tunis une cité prospère, conservent leur pouvoir jusqu’en 1159, date à la laquelle ils sont détrônés par lesAlmohades85.
Les historiens arabes sont unanimes à considérer cette migration comme l’événement le plus décisif du Moyen Âge maghrébin, caractérisé par une progression diffuse de familles entières qui a rompu l’équilibre traditionnel entre nomades et sédentaires berbères83. Les conséquences sociales et ethniques marquent ainsi définitivement l’histoire du Maghreb avec un métissage de la population. Depuis la seconde moitié du viie siècle, la languearabe demeurait l’apanage des élites citadines et des gens de cour. Avec l’invasion hilalienne, les dialectes berbères sont plus ou moins influencés par l’arabisation, à commencer par ceux de l’Ifriqiya orientale83.

Almohades[modifier]

Pour consulter un article plus général, voir : Almohades.
Minaret de la mosquée Zitouna de style almohade
Cependant, l’ensemble du territoire d’Ifriqiya finit par être occupé par l’armée du sultan almohade Abd al-Mumin lors de son expédition depuis les ports d’Honaine et Oran en 115986.
À partir du premier tiers du xiie siècle, la Tunisie est régulièrement attaquée par les Normands de Sicile et du sud de l’Italie, basés dans leroyaume normano-sicilien. En 1135, le roi normand Roger II s’empare de Djerba87 et, en 1148, ce sont Mahdia, Sousse et Sfax qui tombent aux mains des Normands. Toutefois, au cours des années suivantes, ils sont progressivement chassés par une flotte almohade de 200 000 hommes88. En sept mois, les Normands se voient repoussés jusqu’en Sicile88 et Mahdia, leur dernière place forte, est reprise par les Almohades en 116089. Dans le même temps a lieu pour la première fois l’unification politique du Maghreb78, et, de fait, la constitution du plus puissant des États nord-africains musulmans du Moyen Âge90. L’économie devient florissante78 et des relations commerciales s’établissent avec les principales villes du pourtour méditerranéen (PiseGênesMarseilleVenise et certaines villes d’Espagne). L’essor touche également le domaine culturel ; le siècle almohade est ainsi considéré comme l’« âge d’or » du Maghreb78. De grandes villes se développent et les plus belles mosquées sont érigées à cette époque91.

Hafsides[modifier]

Pour consulter un article plus général, voir : Hafsides.
Les Almohades confient la Tunisie à Abû Muhammad `Abd al-Wâhid ben Abî Hafs mais son fils Abû Zakariyâ Yahyâ se sépare d’eux en 1228 et fonde la nouvelle dynastie berbère41 des Hafsides92. Elle acquiert son indépendance dès 123690 et dirige la Tunisie jusqu’en 157473, ce qui en fait la première dynastie tunisienne par sa durée93. Elle établit la capitale du pays à Tunis73, et la ville se développe grâce au commerce avec les Vénitiens, les Génois, les Aragonais et les Siciliens61.
Pièces de monnaies hafsides du musée du Bardo à Tunis
Le successeur d’Abû Zakariyâ Yahyâ, Abû `Abd Allah Muhammad al-Mustansir, se proclame calife en 1255 et poursuit la politique de son père. C’est durant son règne qu’a lieu la seconde croisade de saint Louis qui se solde par un échec. Débarqué à Carthage, le roi meurt de lapeste au milieu de son armée décimée par la maladie en 127094. En 1319, sous le règne d’Abu Yahya Abu Bakr al-Mutawakkil (1318-1346), les Hafsides élargissent leur territoire vers l’ouest jusqu’à Constantine et Bougie, et vers l’est jusqu’à la Tripolitaine95. À sa mort, en 1346, le royaume sombre dans l’anarchie95.
Mise à part l’œuvre avant-gardiste d’Ibn Khaldoun, la vie intellectuelle accuse un lourd recul durant l’ère hafside, qui « hésite entre des influences andalouses quelque peu décadentes et des influences orientales sans éclats »96. Par ailleurs, Ibn Khaldoun lui-même reste mal connu, bien qu’« Ali Ier Bey en [ait copié] un exemplaire à Fès pour que les lettrés tunisiens puissent disposer d’un exemplaire de l’œuvre de leur illustre compatriote »97Charles-André Julien, pour sa part, qualifie les Hafsides de « mainteneurs d’une civilisation à laquelle ils n’ont pas apporté grand-chose d’original »98.

Régence de Tunis[modifier]

Article détaillé : Tunisie beylicale.

Rivalités en Méditerranée entre Ottomans et Espagnols[modifier]

Les Hafsides de Tunis s’essoufflent et perdent peu à peu, après la bataille de Kairouan en 1348, le contrôle de leurs territoires au profit des Mérinides d’Abu Inan Faris90, alors que, frappée de plein fouet par la peste99 de 1384, l’Ifriqiya continue de subir une désertification démographique amorcée par les invasions hilaliennes100. C’est alors que commencent à arriver les Maures musulmans et juifs andalous61 fuyant la déchéance du royaume de Grenade en 1492 et occasionnant des problèmes d’assimilation100. À leur suite, les souverains espagnols Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille décident de poursuivre leur reconquête jusque sur les côtes maghrébines pour protéger leurs propres côtes101. En une dizaine d’années, ils prennent les cités de Mers el-KébirOranBougieTripoli et l’îlot situé en face d’Alger.
Portrait du corsaire Khayr ad-Din Barberousse
Pour s’en libérer, les autorités de la cité sollicitent l’aide de deux corsaires renommés, originaires de l'île de Lesbos dans la mer Égée : les frèresArudj et Khayr ad-Din102 Barbaros ou Barberousse. Car la piraterie en Méditerranée est alors « une institution antique et généralisée » selonFernand Braudel100. Cette intervention est un événement majeur qui inaugure une période de confrontation entre l’Espagne et l’Empire ottomanpour la domination des territoires du Maghreb, hormis le Maroc, et celle du bassin occidental de la Méditerranée101. La Tunisie offre un environnement favorable et les frères Barberousse s’y illustrent particulièrement. Arudj reçoit en effet du souverain hafside aux abois l’autorisation d’utiliser le port de La Goulette puis l’île de Djerba comme base100. Entourés de marins turcs, comme Dragutcalabrais, siciliens, corses oudanois, ces pirates se font connaître en Europe sous le nom de « barbaresques » en jouant sur les noms « barbares », « berbères » et « Barbaros »100. Après la mort d’Arudj, son frère Khayr ad-Din se déclare vassal du sultan d’Istanbul. Nommé grand amiral de l’Empire ottoman, il s’empare de Tunis en 1534 mais doit se retirer après la prise de la ville par l’armada — 400 vaisseaux — que Charles Quint mène en 153561,100. Le sultan hafside est alors rétabli dans ses droits sous la protection de Charles Quint41 et le pays passe sous la tutelle du royaume d’Espagne25. Pendant ce temps, le gouvernement ottoman se dote de la flotte qui lui manquait. En 1560Dragut parvient à Djerba et, en 1574, Tunis est reprise par les Ottomans73, qui font de la Tunisie une province de l’empire54 en 1575, même si les gouverneurs turcs vivent retranchés dans les ports100, les Bédouins restant livrés à eux-mêmes. En 1581Philippe II d'Espagne reconnaît comme possession turque la régence de Tunis ainsi que celle d’Alger, la Cyrénaïque et la Tripolitaine100, qui deviennent pour les chrétiens les « régences barbaresques »101. Dès lors, l’Angleterre et la Franceprennent le relais de l’Espagne en Méditerranée occidentale : la première bombarde les bases barbaresques en 16221635 et 1672, la seconde en 166116651682 et 1683100.

Émancipation progressive[modifier]

Pièces de monnaies tunisiennes de1761
Pourtant, malgré leurs victoires, les Ottomans ne s’implantent guère en Tunisie et la conquête de l’intérieur des terres ne s’achève que sous les règnes d’Ali II Bey (1759-1782) et d’Hammouda Pacha (1782-1814)100. Au cours du xviie siècle, leur rôle ne cesse de décroître au profit des dirigeants locaux qui s’émancipent progressivement de la tutelle du sultan d’Istanbul103 alors que seuls 4 000 janissaires sont en poste à Tunis100. Au bout de quelques années d’administration turque, plus précisément en 159041, ces janissaires s’insurgent, plaçant à la tête de l’État un dey dont le premier n’est autre que le pacha Ibrahim Roudesli (originaire de Rhodes), en poste de 1591 à 1593. Et, sous ses ordres, un bey101chargé du contrôle du territoire et de la collecte des impôts. Ce dernier ne tarde pas à devenir le personnage essentiel de la régence73 aux côtés du pacha, qui reste confiné dans le rôle honorifique de représentant du sultan ottoman, au point qu’une dynastie beylicale finit par être fondée parMourad Bey en 1612. Durant la même période, les activités des corsaires connaissent leur paroxysme car l’autonomie croissante vis-à-vis du sultan entraîne une baisse de son soutien financier et la régence doit par conséquent accroître le nombre de ses prises en mer afin de survivre.
Tableau représentant le retour du contingent tunisien de la guerre de Crimée
Le 15 juillet 1705Hussein Ier Bey fonde la dynastie des Husseinites93. Il cumulait les fonctions de bey, de dey et de pacha, et « disposait sur tous ses sujets du droit de haute et basse justice ; ses décrets et ses décisions avaient force de lois »104. Quoique toujours officiellement province de l’Empire ottoman, la Tunisie acquiert une grande autonomie au xixe siècle73, notamment avec Ahmed Ier Bey, régnant de 1837 à 1855, qui enclenche un processus de modernisation105. À cette époque, le pays vit de profondes réformes, comme l’abolition de l’esclavage et l’adoption en 1861 d’une constitution105,106 — la première du monde arabe —, et manque même de devenir une république indépendante. La Tunisie, alors dotée d’une monnaie propre et d’une armée indépendante, adopte en 1831 son drapeau107.
Il est difficile de mesurer l’importance des influences turques qui demeurent en Tunisie. Quelques monuments affichent leur filiation ottomane : minarets polygonaux et cylindriques ou mosquées sous une grande coupole centrale comme celle de Sidi Mahrez à Tunis100. Dans un autre domaine, l’art des tapis, qui existait pour certains avant l’arrivée des Ottomans, voit les productions de Kairouan présenter auxviiie siècle des motifs purement anatoliens100. Malgré ces influences perceptibles dans l’aspect des objets manufacturés, l’empreinte de l’Italie voisine se fait de plus en plus manifeste au cours du xviiie siècle, tant dans l’architecture que dans la décoration, marquant ainsi une ouverture du pays à l’Europe100.

Apogée de la course[modifier]

Galion ottoman du xvie siècleselon une estampe européenne
Au début du xvie siècle, l’Afrique du Nord que les Ottomans appellent Maghreb est en pleine décadence et traverse une crise politique profonde95. Ces bouleversements favorisent l’émergence de principautés et de cités portuaires indépendantes qui relancent l’activité des corsaires.
La « course » atteint son paroxysme sous le règne d’Hammouda Pacha (1782-1814), où les navires, partant des ports de BizerteLa GoulettePorto FarinaSfax ou Djerba, s’emparent de vaisseaux espagnols, corses, napolitains ou vénitiens108. Le gouvernement entretient durant cette période de 15 à 20 corsaires, un même nombre d’entre eux étant rattachés à des compagnies ou à des particuliers — parmi lesquels parfois des personnages haut placés comme le garde des Sceaux Sidi Mustapha Khodja ou les caïds de Bizerte, Sfax ou Porto Farina — et remettant au gouvernement un pourcentage sur toutes leurs prises, qui comprennent des esclaves chrétiens108. Les traités de paix, qui se multiplient au xviiie siècle — avec l’Autriche en 1748 et 1784Venise en 1764-1766 et 1792, l’Espagne en 1791 ou les États-Unis en 1797 —, réglementent la course et en limitent les effets108. En premier lieu, ils imposent certaines exigences (possession de passeports aussi bien pour les navires que pour les hommes) et précisent également les conditions des prises en mer (distance par rapport aux côtes), de façon à éviter de possibles abus. Il faut attendre le congrès de Vienne et la congrès d’Aix-la-Chapelle pour que les puissances européennes somment les États barbaresques de mettre un terme à la course, ce qui sera effectif et définitif après l’intervention des Français en 1836108.

De la mise sous tutelle au protectorat français[modifier]

Article détaillé : Protectorat français de Tunisie.
Toutefois, en raison de la politique ruineuse des beys, de la hausse des impôts93 et d’interférences étrangères dans l’économie, le pays connaît peu à peu de graves difficultés financières105. Tous ces facteurs contraignent le gouvernement à déclarer la banqueroute en 1869 et à créer une commission financière internationale anglo-franco-italienne109. La constitution sera même suspendue le 1er mai 186493. C’est l’occasion pour les grandes puissances européennes, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, de s’introduire dans le pays61. La Tunisie se dirige à peine vers une réelle indépendance en 1873, avec Kheireddine Pacha105, qu’elle retombe sous le joug d’une puissance étrangère.
Car la régence apparaît vite comme un enjeu stratégique de première importance de par la situation géographique du pays, à la charnière des bassins occidental et oriental de la Méditerranée110. La Tunisie fait donc l’objet des convoitises rivales de la France et de l’Italie : la première souhaite sécuriser les frontières de l’Algérie française et éviter que la seconde ne contrarie ses ambitions en Égypte et au Levant en contrôlant l’accès à la Méditerranée orientale. La seconde, confrontée à une surpopulation, rêve d’une politique coloniale et le territoire tunisien, où la minorité européenne est alors constituée essentiellement d’Italiens, est un objectif prioritaire110. Les consuls français et italien tentent de profiter des difficultés financières du bey, la France comptant sur la neutralité de l’Angleterre (peu désireuse de voir l’Italie prendre le contrôle de la route du canal de Suez) et bénéficiant des calculs deBismarck, qui souhaite la détourner de la question de l’Alsace-Lorraine110. Après le congrès de Berlin du 13 juin au 13 juillet 1878, l’Allemagne et l’Angleterre permettent à la France d’annexer la Tunisie73,105, et cela au détriment de l’Italie, qui voyait ce pays comme son domaine réservé111.
Signature du traité du Bardo au palais de Ksar Saïd le 12 mai 1881
Les incursions de « pillards » khroumirs en territoire algérien fournissent un prétexte à Jules Ferry, soutenu par Léon Gambetta face à un parlement hostile, pour souligner la nécessité de s’emparer de la Tunisie110. En avril 1881, les troupes françaises y pénètrent sans résistance majeure et parviennent à occuper Tunis105 en trois semaines, sans combattre112. Le 12 mai 1881, le protectorat est officialisé lorsque Sadok Bey signe forcé, sous peine de mort113, le traité du Bardo114 au palais de Ksar Saïd115. Ce qui n’empêche pas, quelques mois plus tard, les troupes françaises de faire face à des révoltes rapidement étouffées dans les régions de Kairouan etSfax110. Le régime du protectorat est renforcé par les conventions de la Marsa du 8 juin 1883 qui accordent à la France le droit d’intervenir dans la politique étrangère, la défense et les affaires internes de la Tunisie116,117 : le pays conserve son gouvernement et son administration, désormais placés sous contrôle français, les différents services administratifs étant dirigés par de hauts fonctionnaires français et un résident général gardant la haute main sur le gouvernement110. La France représente dès lors la Tunisie sur la scène internationale, et ne tarde pas à abuser de ses droits et prérogatives de protecteur pour exploiter le pays comme unecolonie, en contraignant le bey à abandonner la quasi-totalité de ses pouvoirs au résident général118.
Néanmoins, des progrès économiques ont lieu, notamment via les banques et les compagnies116. Un réseau ferroviaire se développe109. La colonisation permet l’expansion des cultures de céréales et de la production d’huile d’olive ainsi que l’exploitation des mines de phosphates109 et de fer. Un important port militaire est aménagé à Bizerte110. De plus, dans le domaine de l’éducation, les Français établissent un système bilingue arabe et français qui donne l’opportunité à l’élite tunisienne de se former dans les deux langues119.

De la remise en cause du protectorat à l’indépendance[modifier]

Article détaillé : Mouvement national tunisien.

Embryon de mouvement national[modifier]

Délégation du Destour à Naceur Bey
La lutte contre l’occupation française commence dès le début du xxe siècle. La Tunisie est le premier État du monde arabe influencé par le nationalisme moderne120, avec le mouvement réformiste et intellectuel des Jeunes Tunisiens fondé en 1907121 par Béchir SfarAli Bach Hamba et Abdeljelil Zaouche. Ce courant nationaliste se manifeste par l’affaire du Djellaz en 1911 et le boycott des tramways tunisois en 1912118. Ces événements marquent la transformation des Jeunes Tunisiens en militants agissant par des mouvements de rue122. Le résident général fait exiler ses principaux dirigeants118. De 1914 à 1921, le pays vit en état d’urgence et la presse anticolonialiste est interdite25.
Malgré tout, le mouvement national ne cesse pas d’exister118. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, une nouvelle génération organisée autour d’Abdelaziz Thâalbi prépare la naissance du parti du Destour118. Entré en conflit avec le régime du protectorat122, le parti expose, dès la proclamation officielle de sa création le 4 juin 1920117, un programme en huit points. À partir de novembre 1925, le Destour, affaibli, devient clandestin et renonce à l’action politique directe122. Après avoir fustigé le régime du protectorat dans des journaux comme La Voix du Tunisien et L’Étendard tunisien123, l’avocat Habib Bourguiba fonde en 1932, avec Tahar SfarMahmoud El Materi et Bahri Guiga, le journal L'Action Tunisienne124, qui, outre l’indépendance, prône la laïcité125.
Cette position originale conduit le 2 mars 1934117, lors du congrès de Ksar Hellal122, à la scission du parti en deux branches, l’une islamisante qui conserve le nom Destour, et l’autre moderniste et laïque, le Néo-Destour109, une formation politique moderne, structurée sur les modèles des partis socialistes et communistes européens, et déterminée à conquérir le pouvoir pour transformer la société124. Le parti privilégie l’action politique, la mobilisation de ses adhérents, leur prise de conscience, et estime qu’il doit convaincre l’opinion française tout en adaptant sa stratégie aux nécessités de l’action126.
Manifestation du 9 avril 1938 à Tunis
Après l’échec des négociations engagées par le gouvernement Blum, des incidents sanglants éclatent en 1937109 et lesmanifestations d’avril 1938 sont sévèrement réprimées125 : état de siège à Tunis le 9, emprisonnement d’Habib Bourguiba en France pour conspiration contre la sûreté de l’État pour cinq ans25, arrestation de Slimane Ben Slimane, de Salah Ben Youssef et de 3 000 membres du Néo-Destour127. Cette répression conduit à la clandestinité du Néo-Destour, qui incite les nouveaux dirigeants à ne pas exclure l’éventualité d’une lutte plus active127,126. Ainsi, le sixième bureau politique formé fin 1939 et animé par Habib Thameur enjoint aux cellules d’entretenir l’agitation. Il sera toutefois démantelé le 13 janvier 1941 et ses principaux membres arrêtés. En mai 1940, lerégime de Vichy transfère Bourguiba en France. Il est, fin 1942, libéré par les Allemands et envoyé en Italie, où Benito Mussoliniespère l’utiliser pour affaiblir la Résistance française en Afrique du Nord125. Cependant, Bourguiba ne désire pas cautionner lesrégimes fascistes et lance le 8 août 1942 un appel pour le soutien aux troupes alliées125 :
« Les Alliés ne tromperont pas nos espoirs [d’indépendance]127. »
Prisonniers de guerre italiens et allemands quittant Tunis
Pendant ce temps, la Tunisie est le théâtre d’importantes opérations militaires121 connues sous le nom de campagne de Tunisie109 : des troupes allemandes prennent position dans le pays dès le lancement de l’Opération Torch (débarquement des Alliés en Afrique du Nord) le8 novembre 1942. L’Afrika Korps du général Rommel se replie depuis la Libye derrière la ligne Mareth. À son retour à Tunis, le 8 avril 1943, Bourguiba s’assure que son message soit transmis à toute la population et à ses militants. Après plusieurs mois de combats et une contre-offensive blindée allemande dans la région de Kasserine et Sbeïtla au début de l’année 1943, les troupes du Troisième Reich sont contraintes de capituler le 11 mai dans le cap Bon, quatre jours après l’arrivée des forces alliées à Tunis128. Bourguiba se voit remis en liberté par lesForces françaises libres le 23 juin.
Le 26 mars 1945, Bourguiba s’achemine clandestinement vers l’Égypte, et le 20 janvier 1946 l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) est fondée par Farhat Hached129. Ce syndicat compte, durant cette période, 100 000 adhérents, et il joue un rôle considérable dans le mouvement national127 car sa naissance dote le Néo-Destour d’un allié dans la lutte pour la libération et la construction du nouvel État, même si les tentatives visant à le mettre au pas débutent dès les premiers mois de l’indépendance, entravant du même coup le développement d’un contre-pouvoir124. Après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants nationalistes inscrivent la résistance armée dans la stratégie de libération nationale126. En 1949, un Comité national de la résistance constitué et dirigé par Ahmed Tlili désigne dix responsables régionaux chargés d’organiser des groupes armés strictement cloisonnés126.

De la violence aux négociations[modifier]

Discours prononcé par Bourguiba le 15 janvier 1952
Train saboté par des militants nationalistes
Des pourparlers sont menés après la guerre avec le gouvernement français127, si bien que Robert Schuman évoque en 1950 l’indépendance de la Tunisie en plusieurs étapes117. Mais des troubles nationalistes en 1951 précipitent leur échec117 : la note du gouvernement français du 15 décembrerejette les revendications tunisiennes et interrompt le processus de négociation avec le gouvernement Chenik. Avec l’arrivée du nouveau résident général, Jean de Hauteclocque, le13 janvier 1952, et l’arrestation, le 18 janvier, de 150 destouriens dont Bourguiba revenu d’Égypte le2 janvier, débutent la révolte armée109 — avec grèves, manifestations de rue et diverses formes de mobilisation populaire126 —, la répression militaire française117 et un durcissement des positions de chaque camp130. La répression provoque une escalade et met à l’ordre du jour le sabotage, l’exécution des collaborateurs, l’attaque des fermes puis les opérations contre les troupes coloniales. Toutefois, le Néo-Destour adopte une stratégie qui s’adapte aux événements alors que la complexité des situations laisse une grande marge de manœuvre aux chefs locaux dans le cadre des directives générales126.
Ruines suite à une attaque sur Tazerka
Le 22 janvier, le colonel Durand est abattu au cours d’une manifestation de protestation organisée par le Néo-Destour à Sousse. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre, le 23 janvier à Moknine, se terminent par une fusillade, et de nombreux faits similaires se produisent à travers le pays126. Le ratissage du cap Bon par l’armée française dès le 26 janvier — touchant principalement durant six jours les localités de TazerkaEl Maâmoura et Kélibia — fait près de 200 morts131.
Les archives sont très pauvres sur ce sujet mais quelques documents reflètent la polémique engendrée par ces exactions commises à l’instigation du général Garbay. En réponse aux enquêtes, la résidence prétexte l’exagération à des fins propagandistes, mais ces exactions ne sont plus mises en doute, même si on en ignore encore la teneur exacte131. De plus, avec l’assassinat du syndicaliste Farhat Hached par l’organisation colonialiste extrémiste132 de la Main rouge133, le 5 décembre, se déclenchent manifestations, émeutes, grèves, tentatives de sabotage et jets de bombes artisanales126. Le développement de la répression, accompagnée de l’apparition du contre-terrorisme, incite les nationalistes à prendre plus spécifiquement pour cibles les colons, les fermes, les entreprises françaises et les structures gouvernementales126. C’est pourquoi les années 1953 et 1954 sont marquées par la multiplication des attaques contre le système colonial : le mouvement nationaliste encourage la création de véritables unités de combat dans les différentes régions alors que les modestes ressources permettent difficilement de les entretenir. Protégés par leur insertion dans leur milieu social et connaissant le théâtre des opérations, les maquisards réussissent à organiser une guérilla de harcèlement126.
En réponse, près de 70 000 soldats français sont mobilisés pour arrêter les guérillas des groupes tunisiens dans les campagnes134. Cette situation difficile est apaisée par la reconnaissance de l’autonomie interne de la Tunisie, concédée par Pierre Mendès France le31 juillet 1954117,135 :
« L’autonomie interne de l’État tunisien est recouvrée et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français130. »
C’est finalement le 3 juin 1955134 que les conventions franco-tunisiennes sont signées entre le Premier ministre tunisien Tahar Ben Ammar et son homologue français Edgar Faure132. Elles prévoient le transfert au gouvernement tunisien de toutes les compétences à l’exception de celles des affaires étrangères et de la défense. En dépit de l’opposition de Salah Ben Youssef, qui sera exclu du parti54, les conventions sont approuvées par le congrès du Néo-Destour tenu à Sfax le 15 novembre de la même année130. Après de nouvelles négociations, la France finit par reconnaître « solennellement l’indépendance de la Tunisie »130 le 20 mars 1956136, tout en conservant la base militaire de Bizerte.

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